Hypero Tomo
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Inscription: 12/01/2012
Localisation: LOT
Slow Food "Coupez"
C’était la 22ème prise.
« De toute façon on aura pas mieux aujourd’hui »
Il se grata la barbe, ou plutôt ce qui lui servait de barbe, quatre poils pas coupés depuis huit jours. Il y avait de quoi se frotter le menton en effet. Un crachin de novembre en plein juillet, un temps à faire déprimer une équipe de tournage venue tout spécialement pour filmer en extérieur jour.
« Il fait toujours beau dans le Lot au mois de juillet ! »
Si on ne peut plus faire confiance aux paysans pour la météo, tout fout le camp!
On s’était replié dans une maison qui était sensée être la mienne. Tout se liguait contre nous ce jour là. On était dérangé tous les cinq minutes, le téléphone sonna, on vint rendre visite au propriétaire, le chien se mit à aboyer.
« C’est quoi déjà ce que je dois dire ? »
La scripte me relu le texte une fois de plus, elle était imperturbable. Tout le monde se tût, il fallait se reconcentrer.
« Allez, on reprend »
« Moteur ! »
« Ça tourne » lançait l’ingénieur du son
« Scène 67, premier plan, 23ème prise » répéta la scripte d’une voie monotone qui me rassura.
« Action »
Le téléphone résonna de nouveau. L’assistance éclata de rire. On eu le droit à grattage de barbichette. Dans son regard, il y avait du dépit et de la résignation. La scène sera comme il se doit dans ce cas coupée au montage.
Cette fois ci la journée était finie pour de bon ! On plia bagage, on remit tout en place, et on regagna la grange. Je commençais l’inventaire du frigo pour voir ce qu’on pouvait manger ce soir là.
La troupe avait déserté le QG. Ils devaient s’être perdus derrière un caillou, c’est bien connu : « Dans le Lot, on est pôvre, on a que des cailloux » (ce qui ceci dit est à moitié vrai, on a beaucoup de cailloux). Derrière les cailloux ils nous avaient trouvé grâce à cette pluie de juillet assez de champignons pour que je puisse refermer mon frigo.
Une dizaine de beaux cèpes jeunes, fermes et odorants trônaient sur la table.
« Alors tu as vu ce qu’on a trouvé » lança un acteur parisien fier de sa trouvaille.
« Et en plus on a laissé les vieux pépères » Il parlait des vieux cèpes mous et la plupart du temps véreux. Les paysans leur donnaient un coup de pied, quelquefois qu’on ait idée de les ramasser après eux.
« Tatata, vous y retournez ! Et vous me les ramenez »
L’idée m’était venue un soir où les enfants avaient ramassé des pleins paniers de champignons trop avancés. Ils auraient été trop déçus que je jette l’intégralité de leur récolte. Ils avaient paradé dans le hameau pour montrer leurs trésors. Les voisins leur avaient tous dit qu’ils pouvaient les jeter, car trop vieux.
Je les fis cuire. Le mélange était certes très parfumé mais peu engageant. La texture surtout.
Au secours !
Pour un velouté de cèpes, les nominés sont :
Dans la catégorie Meilleur Interprète Masculin:
Un Bon vieux Cèpe en fin de carrière, pour l’ensemble de son œuvre, bien gluant, les pores bien noires.
Dans la catégorie Meilleure Interprète Féminine:
Une bonne vieille Pomme de terre.
Dans la catégorie Meilleur arrangeur:
Un oignon
Dans la catégorie Meilleur second rôle:
Madame le Sel et Monsieur le Poivre, sans lesquels les meilleurs scénarios seraient fades.
Laver les cèpes, les laisser tremper avec une pointe de vinaigre ou de jus de citron. habituellement les jeunes cèpes sont grattés et non lavés pour préserver le maximum de saveur. Dans ce cas, ça n'a pas d’intérêt.
Les faire revenir à feu fort avec la gros sel. Ils vont rendre leur eau, la laisser s'évaporer et continuer la cuisson jusqu'à ce que les cèpes caramélisent. Arrêtez juste avant de commencer à sentir une odeur de brulé.
Y rajouter la pomme de terre et les oignons, mouiller le tout et faire cuire à couvert 30 minutes.
Une fois la pomme de terre cuite mixer au plongeur, rectifier l’assaisonnement. Bien poivrer.
Servir avec une noisette de crème fraiche.
Avertissement: Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait parfaitement fortuite. La production décline toute responsabilité si certains évènements relatés dans ce récit pourraient heurter la sensibilité de certaines personnes. Aucun animal n'a été maltraité dans cette recette. Nous remercions pour cette réalisation la famille boletus eludis, les pommes de terre et les oignons pour leur contribution, et Jean Marie qui s'est très souvent gratté la barbichette pendant ce mois de juillet, auditeur parfois anonyme de cette chronique et sans qui cette recette ne serait pas.
Candide Voltaire