Mon cher Peyo,
Oui, je crois aussi qu'il faut savoir faire la part des choses. Tu as une démarche très intéressante pour la production de tes légumes : tu essayes de faire le mieux, le plus "bio" possible dans ton contexte, c'est une vision et une pratique fort susceptibles, d'ailleurs, d'intéresser tes clients, du moins ceux qui ont envie de discuter.
Ici aussi, en Guyane, j'ai du baisser mon pantalon
par rapport à mes convictions pures et dures. Le problème ? Les fourmis maniocs, plus connues hors zone Antilles-Guyane sous le nom de fourmis champignonnistes.
Une épouvantable saloperie, le pire problème pour le maraichage et l'arboriculture en Amazonie, mais aussi ailleurs en Amérique tropicale. En Guadeloupe, c'est un cas particulier : elles y sont arrivées dans les années 70, alors qu'elles ne faisaient pas partie de l'écosytème antitillais, par des bateaux venant sans doute de Guyane.
Ces saletés découpent, la plupart du temps la nuit, les feuilles de leurs végétaux préférés : plantes basses, buissons, arbustes, arbres, lianes elles sont très polyphages. Les fragments de feuilles rapportés au nid (qui atteint dans les zones les plus contaminées des dimensions colossales en réseau, misère
) sont triturés avec leur salive pour former un substrat qui leur permet de cultiver une meule de champignon. Elles se nourrissent essentiellement du champignon et varient l'ordinaire avec quelques fruits sucrés et substances farineuses quand elles en trouvent (elles peuvent envahir nuitamment la cuisine pour découper le pain...).
Ces immondes bestioles sont capables de mettre à poil
plusieurs fois dans l'année des citronniers, par exemple, dont elles raffolent. L'arbre peut en crever, mais la plupart du temps il s'affaiblit sans mourir et ne produit plus. Elles ne dédaignent pas non plus les jeunes feuilles de manguier. Elles sont gourmandes des feuilles de maracudja (liane de fruit de la passion), détruisent de nombreuses plantes ornementales, peuvent mettre à poil des cucurbs, des piments. Et je ne fais qu'un rapide survol très incomplet.
Elles sont très opportunistes et sont capables, s'il n'y a rien qui leur convient à un endroit, de se rabattre sur ce qu'elles n'aiment pas d'habitude. J'ai ainsi vu une parcelle de bananiers chez mon garagiste mise à nu, il n'y avait plus que la nervure centrale sur chaque feuille. Horrible et très impressionnant.
Le plus dingue c'est à l'hôpital, il n'y a pas grand chose en dehors de la pelouse et elles s'attaquent donc aux feuilles de grands Draceana, feuilles coriaces qu'elles ne touchent pas normalement.
Que faire face à une si terrible vermine, qui non seulement détruit de nombreuses plantes cultivées mais en plus
récidive au cours de l'année ? Et bien comme tout le monde : traiter en chimie, et oui... Je me suis assis sur mes grands principes et lorsque que je suis envahi j'utilise les granulés de référence le Blitz. Ca ressemble beaucoup à l'anti-limace. C'est irrésistible pour les fourmis maniocs qui s'en saisissent dès qu'elles en rencontrent un pour le rapporter à la fourmillière. Là les granulés sont dévorés et la nourriture passe, selon le principe en vigueur chez les fourmis, de bouche en bouche. Ce faisant, elles se transmettent cette merde de
fipronil. Le résultat se voit très vite, les colonnes de fourmis qui faisaient leurs raids toutes les nuits disparaissent rapidement.
Et oui, du fipronil... Toxique pour la faune aquatique et soupçonné d'être un des produits désorientant les abeilles, rien que ça ! C'est le seul produit chimique qui rentre dans mon jardin et je n'ai pas le choix !!!!! La première fois que je m'en suis servi j'en ai été malade de contrariété, maintenant je n'ai
"plus" que des maux d'estomac lorsque je traite.
Je connais en forêt des écolos trentenaires vraiment purs et durs, ne se traitant qu'avec de l'homéopathie et des huiles essentielles, intégristes sur l'agriculture et plein d'autres choses (même trop à mon avis). Et bien même eux ont du manger leur chapeau.
Après que les maniocs eurent dévasté leurs cultures, ils sont passés au Blitz...
Il y a une méthode traditionnelle qui utilise la pulpe de calebasse (le fruit du calebassier arbre, pas la cucurb). C'est une pulpe juteuse gris plomb que les maniocs consomment et qui les intoxiquent.
Il y a un gars en Guadeloupe qui a un centre bio pédagogique et produit des graines pour Kokopelli (belzeb l'a rencontré lors de son séjour antillais). Sur la page d'accueil de son site, on voit une photo très prometteuse d'une boule de pulpe de calebasse devenue rousse (les maniocs sont rousses) tant elle est couverte de fourmis. Superbe ! J'ai échangé avec lui par mail, il m'a dit que cette méthode ne les avait pas éliminées à 100% de son terrain mais qu'elles étaient bien contrôlées.
Magnifique, j'ai donc essayé bien sûr ! J'ai une amie qui a un calebassier qui produit en abondance. J'étais plein d'espoir, enfin une alternative au fipronil ! Et bien nos fourmis maniocs guyanaises doivent être spéciales :
la colonne passe à côté de la pulpe en s'en foutant complétement, jamais je n'ai vu la pulpe couverte d'insectes comme sur son site. J'ai pourtant essayé 4 fois (ou 5 je ne sais plus) en variant le degré de maturité du fruit, en laissant un peu fermenter ou pas. Y a pas à tortiller, en un mot comme en cent : elles s'en branlent !!!!!!!!!!
Terrible déception, pour des raisons que j'ignore complètement, cette méthode ne marche absolument pas ici. Je continue donc à utiliser du Blitz lorsque ces saloperies deviennent trop pressantes.
Alors tu vois Peyo, ton fumier non bio (une fois vérifié que l'administration de vermifuge n'est pas récente), je crois que tu peux bien le composter allez !
Et moi je suis toujours à la recherche d'une alternative au fipronil, mais après voir échoué avec la pulpe de calebasse, je n'y croie plus.