Hypero Tomo
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Slow Food "Tu passes dimanche vers 21h15""
Le mois de mars clôturait un hiver interminable par une bourrasque soudaine. Je posais la main sur mon chapeau pour qu’il ne s’envole. Le fournil était endormi et désert. J’avais quatre minutes de retard. La maison brillait dans le fond.
Elle était attablée finissant son repas, seule, Serge s’occupait des bêtes. Il mangerait plus tard. Elle s’était affairée toute la journée à la préparation du levain et à d’autres tâches. Elle finissait d’engloutir son repas frugal, enfila son manteau et d’un pas décidé nous regagnons le fournil dans l’obscurité.
La porte franchie, deux pâles loupiotes, une chaleur lourde, l’odeur des ferments, les murs blêmes, j’entrai dans son antre. Elle me faisait l’honneur de m’accueillir. Vingt ans de sa vie, elle avait appris, tenté, s’était imprégnée de ce monde. Elle maîtrisait son art avec des rituels ancestraux qu’il faut incarner. Son monde est celui du silence et de la solitude. Les secrets ne sont que discrets.
Chaque sac contenait une farine différente, elle seule savait. Le blé, le seigle, le petit épeautre, le son de blé, le son de seigle. Sur la table des bassines finissaient de tremper le raisin de Smyrne, les graines d’orge et de lentilles vertes, les noix, le sésame, le lin. Une vieille balance tremblait prête à délivrer sa sentence. Le four finissait de nous rendre ses dernières chaleurs. Le levain attendait son heure, nous y étions.
Dans ce fournil où tout semble dormir le levain avait poussé lentement. Cent grammes du pâton précédant avait été réservé pour le suivant. Ces petits cent grammes allaient devenir dix-sept kilos de levain pour le lendemain. Une journée entière d’attention, des gestes précis et rapides. 90 kilos de pains pour finir.
Le pétrin brisa le silence.
Elle augmenta peu à peu son levain avec de l’eau et de la farine. La magie de la fermentation opéra soudain. Aucune poudre magique, juste le temps et les ferments naturels contenus dans le son et le pâton du vendredi précédant. 28°C, le thermomètre en décida ainsi, trois degrés de trop, ça ira. Elle demanda à son levain de se calmer en distillant une petite poignée de sel gris. Le sel c’est la pédale de frein du boulanger, le miel, l’accélérateur.
Le levain ressemblait maintenant à une meringue. Cinq pains, cinq pâtons, cinq récipients.
Il allait dormir à 11°C toute la nuit. Les martes grattaient sur la charpente. Demain le temps aura fait son œuvre, le levain aura poussé.
« Je serai là à 6h30, tu viens quand tu veux »
Le levain est mis au pétrin. Ce matin cent grammes avaient étés augmentés avec de la farine et de l'eau.
A 22h il y en avait 2 kilos
Le processus continue, on rajoute de nouveau la farine et l'eau. Un peu de son de seigle et de blé. C'est ici que sont contenus les ferments naturels.
28°C le levain n'a pas encore poussé, il a une consistance ferme, ne colle pas aux doigts, quelques minutes de pétrin encore
Pesée du sel pour demain. 11 grammes de sel par kilo, 18 pour les industriels;
Les pâtons de levain sont couverts pour éviter de crouter, mis au frais à 11°C, ils attendront une nuit de plus pour être mélangés à la pâte.
Rendez vous demain pour la suite et la dégustation du pain, vite au lit la nuit est courte. La ferme ouvre au public à 16h.
Candide Voltaire