Hypero Tomo
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Slow Food "Retour à Lamourio"
J’accompagnais à sa dernière demeure ma grand-mère. C’était il y a quinze jours déjà. Je me revois petit enfant, trainé au bras de ma mère aller chercher à Lamourio les produits du métayage. La fermière égrainait la liste en lisant derrière ses épaisses lunettes :
« Douze poulets de chair, vingt quatre douzaines d’œufs, un cochon préparé, une pièce de cantal, deux pintades, vous préférez pas une dinde pour Noël, elles sont belles les dindes cette année, 24 litres de lait, 3 kilos de tomme, 4 litres de prune mais vous n’en prenez pas de la prune, on vous mettra un jambon de plus on en a bien assez des jambons et puis on a tué une coche, on peut pas tout manger non plus. »
Les familles se connaissant depuis plusieurs générations tout se faisait à l’amiable. La liste de métayage servait d’alibi à une visite de courtoisie. Je m’échappais vite de leurs conversations d’adultes pour aller retrouver la route Napoléon. L’idée même que l’Empereur ait pu passer par ce chemin broussailleux avec ses armées me confortait dans l’idée de me délasser les guibolles. Je restais intrigué par le miroir et le rasoir qui trônaient imperturbables au dessus de la fontaine d’où sortait une eau glacée. Un mince filet d’eau chantait dans l’auge des têtards. C’est ici que le fermier se rasait au chant du coq. Je m’amusais à tenir dans le creux de la main ces batraciens. J’étais libre ! Je rêvais de reprendre le troupeau et de l’amener à l’estive au sommet du Puy Violent pour y faire du fromage dans le buron.
Le vacher y passait tout l’été, et en redescendait à l’automne chargé des cantals à la croute orangée par les gentianes. Je me souviens des bras noueux du fermier tranchant au fil à couper le beurre les roues de cantal. Il nous en faisait gouter une tranche avec le regard du devoir accompli, toute fierté rentrée.
C’est fini. La roue tourne. Restent les souvenirs, les odeurs, le goût du cantal à la fleur de gentiane. Un rasoir sur une fontaine. La bonté de ces fermiers, l’enfance. Nous refermons les grilles du cimetière.
Elle ne cuisinait pas souvent. La seule chose qu’elle m’ait apprise, c’est la truffade. J’en préparais une il y a quelque temps. Je savais qu’elle l’adorait. Elle me prit la cuillère en bois qui me servait à remuer les patates.
« Non c’est pas comme ça, il faut que tu les écrases ! Regarde, tu ne dois pas retrouver de morceaux ! »
Pour une truffade auvergnate:
Pommes de terre farineuses
Tomme fraiche d'Auvergne
Graisse de canard ou saindoux
Persil
Ail, sel, poivre
Émincez les pommes de terre en tranches fines et faites les revenir dans la graisse de canard. Le saindoux est plus auvergnat mais moins parfumé. J'en ai fait à l'huile d'olive, mais je suis un dingue de l'huile d'olive, j'en bois au petit déjeuner avec mon café. Ceci dit je la recommande.
Les pommes de terre vont s'écraser et attacher au fond, c'est le but recherché. Remuez, grattez, retournez, soyez sans pitié avec ces patates, elles doivent rendre gorge, s’aplatir, se ratatiner. Bref au bout du compte, plus de patates mais un "patchloc" (c'est le petit nom que je leur donne)
Attendez c'est pas fini. Une fois que vos patates sont cuites, ratabouillées, il faut mettre La Tomme.
Pas n'importe laquelle. Une tomme d’Auvergne, qui sert à faire le cantal et rien d'autre. Débrouillez vous, si vous êtes auvergnat, vous connaissez, votre mère vous en a donné lorsqu'elle n'avait plus assez de lait. Sinon, venez manger une truffade chez Peyo, il y a même des japonais qui font le détour pour cela!
Attention, la tomme doit fondre, pas plus pas question de la cuire. Si vous le pouvez coupez le feu, couvrez et laissez fondre avec l'inertie de la poêle. Ah oui, j'oubliais, remuez encore un peu, enfin un peu plus quand même, remuez, je vous dis.
Rajoutez l'ail et le persil, c'est prêt, c'est bon, c'est chaud, ça vous réchauffe. On est en Auvergne, à 700 mètres d'altitude. Vous venez de vous occuper de vos vaches de Salers alors qu'il fait -10°C, le fermier vient de se raser dehors à l'eau glacée de la Fontaine. Rassurez vous ça fait des centenaires!
Servez avec une saucisse grillée. Au passage arrêtez vous chez le charcutier de Salers, de St Cernin, ou de St Martin Valmeroux, leur saucisse vous fera croire en Dieu si vous êtes mécréants!
Et voilà, c'est fini. Je suis comme un petit garçon qui pleure en écrivant ces lignes. Mes souvenirs en Auvergne sont Ici, c'est chez moi. La ferme a été vendue, la maison aussi. Restent mes ancêtres, des paysages, une certaine façon de vivre dans cette France très profonde. Des hommes durs au mal et au travail. Des villages comme au Moyen âge. Lorsque je vois ces photos de paysans fiers d'être photographiés, revêtant leur plus beaux habits pour l'occasion, posant devant l'épicerie familiale, je me dis que je suis un petit bout d'eux. Et que je me dois d'offrir la meilleure qualité à ceux que j'aime.
L'arrière grand oncle et tante à Lamourio en 1920
Le village de St Chamand où la famille avait une épicerie. La fontaine est celle où Charly Gaul plongea en 1955 pour se rafraichir lui qui aimait la pluie et le froid. Ce jour là il faisait 30°C en Auvergne, un record!
Le Puy Violent: C'est le plus beau volcan d'Auvergne avec sa forme pointue. Le fermier y laissait ses vaches à l'estive. C'est ici qu'il faisait le Cantal dans le buron. Là aussi c'est fini, plus de vacher pour faire le fromage en altitude.
Voilà désolé de vous avoir embêté avec ces vieux souvenirs, venez manger une truffade à la maison.
Il y a des jours.....
Candide Voltaire